« Certains jours, les histoires sont trop lourdes à porter. Mais nous revenons, car ils n’ont personne d’autre. »
Ces mots de Jean, un membre du personnel de l’OIM au Centre de ressources frontalières à Ouanaminthe, traduisent la charge émotionnelle du travail humanitaire au quotidien — et la force qui soutient les opérations de l’OIM à la frontière haïtienne, là où arrivent les migrants déportés dans des conditions de grande vulnérabilité.

Des migrants déportés franchissent la frontière entre la République dominicaine et Haïti à Ouanaminthe. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Chaque jour, des dizaines de migrants déportés franchissent la frontière depuis la République dominicaine vers Haïti. Beaucoup arrivent dans une extrême vulnérabilité — épuisés, désorientés, sans perspective claire. À Ouanaminthe, dans le département du Nord-Est, et à Belladère, dans le Centre, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), aux côtés de l’Office national de la migration (ONM), les accueille avec dignité, organisation et bienveillance.

Un processus clair et coordonné

Au point de passage frontalier de Belladère, le personnel de l’OIM se prépare à accueillir les Haïtiens déportés de retour dans leur pays. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Dès leur arrivée du côté haïtien de la frontière, les migrants sont pris en charge par les équipes de l’OIM et de l’ONM. L’OIM remet à chaque déporté un petit jeton — un outil d’enregistrement simple, mais essentiel pour identifier les personnes ayant besoin d’une aide ciblée selon leur niveau de vulnérabilité. Un objet modeste, qui marque le début d’un processus vital d’assistance humanitaire.

Les migrants parcourent ensuite quelques mètres jusqu’au Centre de ressources frontalières, géré par l’ONM. Beaucoup arrivent en silence, épuisés par le voyage et l’incertitude de ce qui les attend. Ils sont alors installés et reçoivent un repas chaud, offert par un partenaire opérationnel du Programme alimentaire mondial. Pour certains, c’est le premier vrai repas depuis plusieurs jours.

Un agent de l’OIM remet un repas à un migrant récemment déporté au Centre de ressources frontalières (CRF) de Belladère. L’accès à une alimentation nutritive est une priorité, en particulier pour les familles avec enfants.

Après le repas, le personnel de l’ONM explique les prochaines étapes : quelle aide sera apportée et de quelle manière. Les équipes de l’OIM et de l’ONM mènent également des séances de sensibilisation sur les risques liés à la migration irrégulière, tout en informant les migrants sur le système d’orientation vers d’autres services, notamment l’obtention de documents d’identité. Ce moment d’échange permet d’orienter les migrants et de leur offrir un repère au cœur de l’instabilité.

Priorité aux plus vulnérables

Un père et sa fille, pleins de vie malgré leur récente déportation à Ouanaminthe, Haïti. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Pour de nombreuses familles déportées, le retour en Haïti est à la fois un moment de perte et d’espoir fragile. Santo, un père revenu avec sa femme et sa fille après près de dix ans à l’étranger, confie avec une lueur d’optimisme : « Malgré tout, je suis heureux d’être de retour dans mon pays. Je veux construire un avenir pour ma fille — un avenir où elle n’aura pas à vivre ce que nous avons traversé. »

Un autre père, encore marqué par ses trois mois passés dans la capitale dominicaine, raconte son éprouvante expérience : « Je me sens plus en paix en Haïti, malgré la violence et la pauvreté. Le poids psychologique était insupportable. »

Au Centre de ressources frontalières de Ouanaminthe, un agent de l’OIM accompagne un garçon récemment déporté. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Josh, un garçon de dix ans, déporté avec sa cousine et sa tante, se souvient du trajet : « Ils sont venus chez nous et nous ont mis dans un camion avec plein d’autres gens. »

Un voyage éprouvant derrière lui, un avenir incertain devant — mais déjà, le courage d’avancer en Haïti.

Pour de nombreux migrants déportés, le retour au pays marque le début d’une nouvelle épreuve — faite de précarité économique, d’exclusion sociale et de risques accrus de violences basées sur le genre.

L’OIM accorde la priorité à l’assistance des personnes les plus vulnérables — notamment les femmes enceintes, les mineurs non accompagnés, les personnes âgées et celles ayant des besoins médicaux. Ces migrants sont identifiés dès leur arrivée à la frontière et orientés vers le bureau de l’OIM situé au sein du Centre de ressources frontalières (CRF) géré par l’ONM.

Une femme, seule avec ses deux enfants, confie à voix basse : « Je ne savais pas ce qui allait se passer… Mais quand ils ont appelé mon nom et m’ont tendu la main, c’était comme si une porte s’ouvrait. »

Des migrants récemment déportés se rassemblent devant le Centre de ressources frontalières (CRF) de Belladère, en attendant l’assistance de l’OIM et de l’ONM. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Là, ils sont pris en charge individuellement et reçoivent une assistance adaptée — notamment un appui au transport pour rejoindre la province où ils comptent se réinstaller, souvent auprès de proches ou de réseaux de solidarité. Lorsque nécessaire, des articles supplémentaires comme des vêtements, des sous-vêtements ou des kits d’hygiène de base sont également distribués, afin de restaurer la dignité et permettre aux migrants de prendre soin d’eux-mêmes.

 

Faire face à l’adversité du quotidien avec détermination

Un personnel de l’OIM échange avec les migrants nouvellement arrivés au CRF, leur présentant les services disponibles. Cette séance d’orientation permet aux personnes de retour de mieux comprendre l’aide à laquelle elles peuvent accéder pour se réadapter.

Pour les équipes de l’OIM à Ouanaminthe, comme dans la localité isolée de Belladère, cette réalité quotidienne est éprouvante sur le plan humain. La souffrance qu’elles côtoient chaque jour est immense. Pourtant, leur engagement ne faiblit pas. Malgré les tensions qui peuvent survenir — notamment lorsqu’il faut expliquer pourquoi l’aide doit être priorisée selon des critères de vulnérabilité — les équipes poursuivent leur mission. Parce qu’elles savent que leur présence est essentielle.

L’assistance essentielle apportée par l’OIM dans les villes frontalières n’est possible que grâce au soutien des bailleurs de fonds. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Cette opération structurée et vitale est rendue possible grâce au soutien de bailleurs clés, dont la France, la République de Corée, le Canada et l’Union européenne à travers ECHO. Le maintien et l’augmentation de ces financements sont essentiels pour pérenniser et renforcer cette réponse, alors que la fréquence et l’ampleur des déportations se poursuivent. Grâce à leurs contributions, l’OIM peut continuer à soutenir ceux qui reviennent avec pour seul bagage leurs vêtements — et l’espoir de retrouver sécurité, stabilité et solidarité.