Histoire

Dans l’enceinte délabrée de l’école Anténor Firmin à Hinche, aujourd’hui transformée en abri de fortune pour plus de 700 personnes déplacées, une silhouette solitaire attire le regard. Le visage d’Edens Désir porte les marques de nuits sans sommeil, encore hanté par les souvenirs brutaux des violences armées qui ont ravagé son quartier. Mais il refuse de s’effondrer sous le poids du traumatisme. Au contraire, il s’offre comme un phare d’espoir pour des enfants dont l’éducation est menacée.

Edens, comptable de formation et ancien professeur de lycée, a vu sa vie basculer lorsque des affrontements violents ont éclaté en mars 2025 à Saut-d’Eau et Mirebalais. Comme 6 000 autres personnes, il a fui les massacres, les incendies criminels, les viols et les pillages. « Tout ce que j’avais construit pas à pas a été détruit. Je suis parti sans rien. »

Edens se tient devant un tableau blanc, enseignant à ses élèves les concepts fondamentaux de physique, comme le fonctionnement des machines simples telles que les poulies. Photo : OIM / 2025

Une école devenue refuge, un enseignant devenu repère

Edens a trouvé refuge dans l’école où il avait autrefois étudié, qui n’est plus un lieu d’apprentissage. Les pupitres servent désormais de lits, et les salles de classe se sont transformées en abris bondés où chacun dort côte à côte. Des dizaines de familles y vivent aujourd’hui, entassées dans des pièces qui n’étaient jamais destinées à devenir des dortoirs.

Une mère et son enfant, contraints de fuir leur domicile en raison des violences des gangs, dorment à même le sol de l’école Anténor Firmin, entourés de conditions de surpeuplement et privés des besoins essentiels. Photo : OIM / 2025

Au milieu de ce tumulte, Edens recrée du lien à partir des décombres. Armé d’un tableau blanc, d’un marqueur, de quelques jeunes et d’une immense patience, il enseigne à des enfants déplacés, eux aussi arrachés à toute forme de normalité.

« Depuis que je suis enfant, j’ai toujours aimé enseigner. L’enseignement est ce qui compte le plus pour moi. Je préfère être devant une classe plutôt que de rester inactif. Pour ces enfants, l’école est la seule vraie chance qu’ils ont. »

Edens, enseignant déplacé originaire de Saut-d’Eau, donne un cours de physique sur les machines simples à un groupe d’enfants déplacés dans l’école Anténor Firmin à Hinche. Photo : OIM / 2025

Construire dans l’incertitude

« Je me préparais à développer mon activité. La violence en a décidé autrement. Aujourd’hui, mon seul projet est de partir et d’essayer ailleurs. Mais tant que je suis ici, je partagerai ce que je sais. »

Comme beaucoup de jeunes Haïtiens, Edens avait osé croire qu’il pouvait bâtir quelque chose grâce à ses compétences, son éducation et son travail acharné. Mais dans un contexte où les armes parlent plus fort que les rêves, tout a disparu dans les flammes, la violence et le déplacement forcé.

Aujourd’hui, il vit dans une réalité suspendue. Le passé est douloureux, le présent instable et l’avenir incertain. « Je n’arrive plus à rien planifier, » confie-t-il. « Chaque jour est improvisé. Chaque nuit apporte la question de savoir s’il y aura à manger demain. »

 

Vivre dans une précarité totale

Une mère improvise un petit coin cuisine dans la cour de l’école, préparant un repas simple sur un réchaud à charbon pour nourrir sa famille pour la journée. Photo : OIM / 2025

L’eau potable est rare. Chaque jour, des femmes et des enfants font la file aux points de distribution pour remplir leurs récipients. Les besoins en hygiène sont criants : seules quelques latrines et douches fonctionnent, obligeant des centaines de personnes à utiliser des installations offrant peu d’intimité et des conditions sanitaires précaires. Les risques pour la santé augmentent, en particulier pour les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées et celles en situation de handicap.

Les repas sont rares et dépendent de l’aide humanitaire ou de la solidarité de la communauté hôte à Hinche. « Parfois, je me couche sans avoir mangé, » confie Edens, « mais je continue à enseigner, parce que les enfants sont là. »

 

L’OIM se mobilise malgré les difficultés

Venir en aide aux personnes déplacées représente un immense défi logistique. La route principale reliant Port-au-Prince à Hinche reste impraticable en raison de l’insécurité croissante, bloquant l’acheminement de l’aide humanitaire et privant des milliers de personnes de biens essentiels.

Pourtant, ces obstacles n’ont pas arrêté l’OIM. L’Organisation a apporté une assistance d’urgence à plus de 800 familles réparties sur 17 sites, notamment des kits d’abris, des couvertures, des ustensiles de cuisine et des jerricanes. Ce soutien aurait pu être renforcé si l’accès n’avait pas été si contraint.

Les équipes de l’OIM sont présentes sur le terrain, en dialogue avec les familles déplacées, les communautés hôtes et les autorités locales pour évaluer les besoins. Elles forment également des comités de sites et des équipes de la Protection civile à la gestion des sites. L’Organisation travaille par ailleurs à relocaliser les sites de déplacement les plus précaires vers des lieux plus sûrs et propose un soutien psychosocial essentiel aux personnes traumatisées par la violence.

À l’école, des membres du personnel de l’OIM et un agent de la Protection civile échangent avec un homme âgé en fauteuil roulant, déplacé, afin d’évaluer ses besoins et de veiller à lui apporter un soutien adapté face à ses conditions de vie difficiles.

Ces efforts visent à protéger les plus vulnérables, en particulier les enfants, pris dans une crise trop vaste pour qu’ils puissent en saisir le sens, mais qui façonne déjà leur avenir de manière tragique. Pour Edens, enseigner les sciences et une culture de paix est une manière de briser le cycle qui conduit des jeunes déscolarisés et désespérés dans les bras d’une violence insensée.

« Nous avons besoin de meilleurs citoyens pour faire la différence, » dit-il. « Je ne pense pas que ma contribution suffira à provoquer ce changement, mais je me sens utile en le faisant. Et cela me brise le cœur de savoir qu’un jour, je devrai les laisser derrière moi pour chercher de meilleurs horizons. »

 

Se relever après la chute

Edens est convaincu que le savoir est une défense contre la déshumanisation. Quand la violence détruit tout, force les enfants à l’exil, sépare les familles, interrompt l’accès à l’éducation, enseigner devient un acte de résistance. Entre amertume et détermination, Edens incarne une génération prisonnière d’une instabilité chronique.

L’un des objectifs ultimes de l’OIM est de réduire la pression qui pousse des jeunes comme Edens à quitter leur pays. Mais cette vision reste difficile à concrétiser. Les besoins croissent de manière exponentielle, tandis que les ressources continuent de se réduire. La communauté internationale doit rester aux côtés d’Haïti, pour que le pays puisse traverser ce chapitre douloureux de son histoire nationale et permettre à des personnes comme Edens de continuer à tenir debout, avec dignité, sur la terre qu’elles aiment.

Le chef de l’OIM en Haïti se rend à l’école pour constater de première main les conditions de vie des familles déplacées, échanger avec les membres de la communauté et coordonner les efforts visant à renforcer la réponse humanitaire. Photo : U

L’aide humanitaire apportée par l’OIM, avec le soutien de partenaires tels que la Commission européenne – ECHO et le Fonds central d’intervention d’urgence des Nations Unies, constitue une première bouée de sauvetage. Parallèlement, d’autres programmes visant à apporter des solutions au déplacement forcé, soutenus par l’Ambassade de France, les Affaires mondiales Canada et le Fonds pour la consolidation de la paix des Nations Unies, œuvrent au renforcement des institutions publiques, à la reconstruction des infrastructures et à la promotion de la cohésion sociale.